Réseaunance

Réseaunance n°12

Le 21/02/2019

Une recherche sur les mondes

des jeunes lesbiennes, gays, bisexuel(le)s, transgenres, intersexes

Dans le cadre de la valorisation des travaux de recherche menés par les Etablissements de formation en travail social et leurs partenaires, nous vous proposons de découvrir une recherche sur les ados LGBTI, qui a été menée par Thierry Goguel d’Allondans, Chargé de la recherche et du développement à l’ESEIS (Strasbourg).

 

> POURRIEZ-VOUS VOUS PRESENTER EN QUELQUES MOTS ?

J’ai une formation initiale d’éducateur spécialisé (Diplôme d’Etat), métier que j’ai exercé pendant vingt ans de 1974 à 1994, essentiellement auprès d’un public de grands adolescents ou de jeunes adultes. En 1994, j’étais directeur d’un CHRS strasbourgeois. J’ai poursuivi des études de sociologie et d’anthropologie. Ma thèse de doctorat portait sur les rites de passage. Aujourd’hui mon employeur principal est l’ESEIS  (Strasbourg), outre des fonctions de formateur, j’y suis chargé de la recherche et du développement. Par ailleurs, je suis professeur associé à mi-temps à l’Université de Strasbourg et chercheur associé au laboratoire « Dynamiques Européennes » (UMR 7367 du CNRS).

 

> QUEL EST LE THEME DE VOTRE RECHERCHE ET POURQUOI CETTE RECHERCHE ? SON CONTEXTE ? SON DEROULEMENT ? 

Les rites de passage sont, pourrait-on dire, le fil conducteur de la plupart de mes travaux. Je mène généralement de front deux types de recherches : les premières plus ethnologiques au Congo Brazzaville (depuis 2008), au Congo Kinshasa (à partir de cette année), à Mayotte (depuis 2014) et les secondes en socio-anthropologie de l’adolescence (conduites à risque des jeunes, adolescents délinquants, adolescents en situation de handicap, etc.). Ma dernière recherche (2013-2016) porte sur les adolescents LGBTI (i.e. gays, lesbiennes, bisexuel(le)s, transgenres et intersexués). Cette recherche est une commande d’un éditeur québécois. Celui-ci a créé une collection, « Adologiques », qui s’intéresse aux problématiques adolescentes. Il souhaitait compléter son fond avec un ouvrage de référence sur les ados LGBTI et m’a sollicité pour cela. Du coup, cette recherche a d’abord été publiée chez lui (Presses de l’Université Laval – Québec) avant d’être publiée en France (Chronique sociale) (*). Evidemment les évolutions sociétales concernant les problématiques LGBTI et leurs corolaires constituaient un contexte favorable, pour ne pas dire une publicité acquise. Mais pour autant comment vivent aujourd'hui les jeunes dont l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre diverge des normes dominantes ? Est-ce désormais plus simple que naguère ? Outre la constitution, sur cette thématique, d’une importante bibliographie de référence dans plusieurs champs disciplinaires (histoire, philosophie, psychanalyse, sociologie, anthropologie, littérature, …) la recherche proprement dite a comporté trois temps.

Les lectures, les entretiens, mais aussi le croisement d’autres recherches proches, m’ont permis de dégager quelques constantes et une hypothèse principale : les jeunes LGBTI passent par trois mondes distincts et des modalités de passage, plus ou moins critiques, signent et colorent chaque parcours singulier. Ces trois mondes sont :

 

> QUELS ONT ETE LES RESULTATS DE CETTE RECHERCHE ? LES SUITES ?

Cette recherche démontre que s’il est plus facile aujourd’hui qu’hier pour un jeune LGBTI de se projeter dans l’avenir et, par exemple, d’imaginer se marier et fonder une famille, le paysage général et les situations singulières sont beaucoup plus contrastées. Si le choix d’une orientation sexuelle différente est mieux accepté, les transidentités sont encore très mal perçues et fréquemment ostracisées. Lorsqu’elles étaient acquises, quasi unanimement, les hétéronormes n’avaient nul besoin d’être défendues. Mais aujourd’hui, la visibilité des minorités sexuelles fragilise l’orthodoxie hétérosexuelle ; les nostalgiques du patriarcat manifestent, discriminent, agressent…Même les jeunes LBTI soutenus par leurs familles et leurs proches, heureux dans leur quotidien voire en amour, ont tous vécu plusieurs fois l’opprobre et le stigmate. Nous ne sommes pas encore passés d’une logique de la différence à une logique de l’indifférence qui permettrait, par exemple, que nul ne s’émeuve d’un baiser, dans l’espace public, de deux personnes de même sexe.

Les publications de ma recherche, au Québec et en France, connaissent un grand succès, et même un succès inattendu. Je suis ainsi très sollicité à la fois pour des présentations auprès d’un large public (souvent en librairie) mais aussi par des professionnels des secteurs sociaux, médico-sociaux et sanitaires désireux de se former à un accompagnement spécialisé de ces publics.

 

> POUR CONCLURE...

Les enjeux du travail social de demain tiennent aussi à des publics et des problématiques émergentes. Et ainsi sont fréquemment évoquées les questions liées aux  personnes âgées (au regard du vieillissement de la population), aux migrants (et tout particulièrement les mineurs non accompagnés), … Les personnes LGBTI (notamment au travers des études sur le genre) sont encore peu présentes dans les programmes de formation des enseignants, des animateurs, des travailleurs et intervenants sociaux, des personnels soignants. Puissent les recherches y remédier.

(1) le monde de l’imaginaire. L’hétérotopie est un concept forgé par le philosophe Michel Foucault en 1967 qui le définit comme une localisation physique de l’utopie.

 

 

(*) Ados LGBTI - Les mondes des jeunes lesbiennes, gays, bisexuel(le)s, transgenres, intersexes

Thierry Goguel d'Allondans, Chronique Sociale, PUL, 2016, 240 p.